Au moment où j'écris ce titre, je me demande si j'exagère un peu... ou pas... A vous de vous faire votre opinion avec ce qui suit. Ce qui est sûr, c'est qu'il se passe tellement de choses au Chili ces derniers temps qu'il y aurait matière en faire un livre... et je n'en ai pas dit un mot ici-même... Alors on va rattraper le temps perdu et faire du condensé.
Pourquoi dis-je Mai 68? Depuis trois mois maintenant, les étudiants chiliens sont en grève. Ils occupent les universités. Ils descendent dans la rue, rejoints par des milliers de Chiliens adultes encore marqués par la dictature qui osent, enfin, crier leurs revendications. Ils manifestent pour le droit à une éducation non-lucrative et de qualité. Car au Chili, l'éducation est chère. Très chère. Une année d'université coûte de 3000 à 6000 euros environ. Sachant que le salaire minimum est en-dessous de 300 euros par mois, et que la majorité des Chiliens touchent moins de 600 euros par mois, le système est de facto trop inégalitaire. Et bien trop cher, compte tenu de la qualité de l'enseignement (en gros, cinq ans d'études supérieures équivaut à peine à un niveau license en France).
Les représentants étudiants, dans leur grande majorité aculés à rembouser pendant des années leurs prêts étudiants, en ont assez de ces universités qui s'enrichissent grassement sur leur dos, qui les traitent comme des clients vache-à-lait. L'éducation, au Chili, c'est avant tout un business. Tout comme la santé. Tout comme la culture. Tout comme tout. Alors les étudiants, qui ne font pas dans la demi-mesure, réclament la gratuité totale. C'est peut-être un peu trop demander d'un coup, mais face à un gouvernement ultra-libéral, incapable de répondre autrement qu'en envoyant les forces de police aux manifestants pourtant peu adeptes de la violence, mieux vaut demander la Lune pour espérer obtenir quelque chose.
Les opposants au mouvement étudiant (environ 20% des la population) arguent que dans la vie rien n'est gratuit, et que si ce ne sont pas les étudiants et leurs familles qui paient, ce seront les contribuables. C'est malheureusement un système de pensée très commun au Chili, où tout se paye argent comptant (pardon, à crédit!). C'est tout juste s'il existe un système de couverture médical public. La gratuité, ici, c'est louche, voire peu moral, surtout aux yeux des classes supérieurs. Ces mêmes Chiliens ne trouvent en revanche rien à redire qu'une grasse part de leurs impôts soit reversée directement à l'Armée. Moi je préférerais que mon argent soit utilisé pour éduquer.
Mais revenons à Mai 68: c'était bien plus qu'un mouvement étudiant, me direz-vous. C'était un mouvement de contestation sociale général. Et bien c'est exactement ce qui est en train de se passer au Chili. Car en plus des étudiants, les Chiliens se soulèvent en masse contre les projets de centrales hydro-électriques en Patagonie. Les employés du secteur minier réclament une meilleure considération et de meilleurs normes de sécurité. Les fonctionnaires se rajoutent à la liste des mécontents. Et dans les désormais fréquentes manifestations, les étudiants ont été rejoints par les syndicalistes, ainsi que par des milliers de simples citoyens qui clament leur ras-le-bol d'un système trop inégalitaire.
La semaine dernière, 48 heures de grève générale ont été déclarés par les syndicats, sans l'accord du gouvernement. Ils sont descendus dans la rue pour réclamer, en vrac, une gestion publique des retraites et de la santé, une réforme de la fiscalité et des droits des travailleurs, une meilleure distribution des richesses, une nouvelle Constitution (le texte a été concocté par Pinochet, et reste en vigueur plus de vingt ans après la fin de la dictature)... Bref, c'est une nouvelle société que veulent la majorité des Chiliens.
Face à eux, une classe dirigeante issue en grande partie de la dictature, et, si l'on remonte dans le temps, descendants de puissantes familles d'immigrants. Un micromosme conservateur arquebouté sur ses acquis, qui se transmettent de génération en génération depuis 200 ans et l'indépendance du Chili. Qu'on se le dise, la classe dirigeante chilienne est un club fermé qui ne mélange pas torchons et serviettes. D'où sa fragilité et son manque de légitimité face aux mouvements populaires. Car aux yeux du peuple, indépendance ou pas, démocratie ou pas, c'est toujours le même sérail: toujours les mêmes à qui le système profite, toujours les mêmes qui en pâtissent.
Si j'étais chilien, on considérerait que je tiens des propos de communiste. Mais en tant que Francais, je ressens une profonde empathie pour les millions de Chiliens qui sont prisonniers du système, des bas-salaires, des crédits. Je suis choqué par la répression policière systématique comme seule réponse à des revendications aussi légitimes que pacifiques (je sais de source sûre que la police a des infiltrés qui provoquent la violence au sein des manifestants, par jets de pierres, insultes, etc.). Il est temps que cela change. Et avec la cote de popularité actuelle du gouvernement (environ 25% d'opinion positive) et son incapacité à comprendre la situation et à agir, je me dis qu'une réplique de Mai 68 amenant de véritables boulervesements n'est finalement pas si loin... A suivre...