Le jour dit, je me présente au tribunal. Un vieil immeuble vétuste, un vaste hall, quatre salles de tribunal et autant de fenêtres avec des fonctionnaires affairés, allant au plus vite pour renseigner les citoyens faisant la queue. Moi, un peu perdu au milieu de tout ca, je m'adresse au premier fonctionnaire venu, qui s'empare de ma convocation et se contente de me dire en quatrième vitesse qu'on m'appellera devant le juge. Euh... oui, mais qui? où? quand? Voyant que je reste planté là bêtement, il revient me voir: j'en profite pour essayer de défendre mon cas, que je suis étranger, je savais pas... Peine perdue. L'autre me coupe immédiatement. Vous vous expliquerez devant le juge, attendez à cette porte.
En attendant qu'on m'appelle, je prend connaissance des différents types d'infraction: très graves, graves, moins graves et légères. Stationnement interdit, apparemment, c'est considéré comme grave. Put... ca rigole pas! Si j'en crois le tableau, je vais donc devoir payer 2 UTM. Deux quoi? UTM, Unitad tributaria mensual. Oui parce que pour faire simple, il existe au Chili les UTM et les UF (Unidad de fomento). La première de ces unités de paiement est utilisée pour tout ce qui est amendes et opérations légales, la seconde pour acheter une maison ou payer un loyer. Evidemment, leur valeur en pesos est variable. Simplissime, je vous dis. Dans mon cas, 2 UTM valent environ 55.000 pesos, soit 70 euros. Par rapport au niveau de vie chilien, ca fait vachement cher le stationnement interdit!
Finalement quelqu'un aboie mon nom en hésitant (les noms de familles francais dis en espagnol, pas simple) depuis l'encadrement d'une porte. J'entre et me retrouve dans une drôle de pièce, remplie de bureaux avec des fonctionnaires, avec au fond un tribunal de la taille d'un théâtre de marionnettes. Je m'avance jusqu'au juge. Au pied de son estrade, une sorte de banc à hauteur des tibias oblige à s'agenouiller (ou à rester debout, mais loin du juge). Comme je n'aime pas l'idée de m'agenouiller, ni celle d'être loin, j'opte pour un compromis: je m'agenouille, mais je m'accoude familièrement au bureau du juge. N'ayant aucune idée du protocole local, je m'adresse au juge de la manière que si je discutais avec mon coiffeur. On me la fait pas à moi. J'ai couvert suffisamment de procès en tant que journaliste pour être intimidé par un juge.
Le juge m'accueille, regarde vite fait ma convocation, me demande d'où je viens ("ah oui, Bordeaux, je connais"), et m'annonce que je devrais payer 1 UTM. Et c'est tout? Et c'est tout! Moi je pensais qu'on voyait le juge pour pouvoir argumenter un peu. Attendez, moi je suis étranger, je ne savais pas que c'était interdit, je n'ai pas vu de panneau, et en plus il y avait plusieurs voitures garées devant moi (celles du consulat de Norvège, qui a beaucoup de voitures je trouve). "Au Chili, la loi dit qu'il est interdit de stationner à gauche". Je ne peux que grommeler au fond de moi: nul n'est sensé ignoré la loi. Finalement je m'en sors avec 1 UTM d'amende au lieu de 2, c'est pas si mal. Bon, j'aurais peut-être dû faire un peu plus profil bas, ca m'aurait peut-être aidé à faire sauter l'amende.
Maintenant, il faut payer l'amende à la caisse. Pour faire simple, il faut d'abord passer par une première caisse où l'on vous tamponne le PV. Puis à une seconde où vous devez tendre le PV tamponné à l'employé, qui se contente de mettre les sous-sous dans la caisse -à une vitesse qui ferait sortir de ses gonds le chef de caisse de chez Carr'ouf. C'est la procédure la plus rapide du monde.
Je ressors de là délesté de 27.000 pesos, avec l'impression d'être entré dans une usine où l'on expédie chaque cas en deux minutes sans vraiment prendre le temps de vous écouter. Et le sentiment, donc, que ce système de juge est complètement inutile, et que l'on perdrait moins de temps (et l'Etat, moins d'argent) à apposer directement le montant de l'amende à payer sur le papillon, avec un feuillet détachable pour payer avec timbre fiscal. Comme en France.