Il y a deux semaines, la ville de Bordeaux a été classée par l'Unesco au rang de patrimoine mondial de l'Humanité, tout comme Valparaiso et l'île de Pâques. Il est vrai que les quais de la ville et l'architecture du centre historique sont magnifiques, surtout depuis leur rénovation en profondeur (rendons à César ce qui lui appartient: les grands travaux initiés par Alain Juppé ont porté leurs fruits).
Mais on aurait pu se demander si l'on accepte moralement de classer au patrimoine de l'Humanité cette cité certes superbe, mais qui doit sa richesse et sa beauté au lucratif trafic d'esclaves. Je suis allé voir sur le site Internet de l'Unesco, et j'ai constaté avec étonnement (et déception) que l'histoire du site n'est pas pris en compte. Voici les critères officiels de sélection: il doit s'agir des "paysages et des sites naturels, ruraux ou urbains, qu'ils soient dus à la nature ou à l'oeuvre de l'homme, qui présentent un intérêt culturel ou esthétique, ou qui constituent des milieux naturels caractéristiques". Point barre. Et c'est vrai que de ce côté-là, Bordeaux présente un intérêt certain:
Certes, on pourrait rétorquer qu'en pensant de cette manière, il ne faudrait pas avoir classé au patrimoine de l'Humanité des sites comme la Grande muraille de Chine, ou des forteresses, ou des villes dont l'histoire s'est construite en faisant couler beaucoup de sang. Ca réduirait de beaucoup la liste des sites classés.
Il n'empêche, dans un pays où l'on parle du "rôle positif" de la colonisation, où l'on n'évoque que du bout des lèvres et avec euphémisme les atrocités de la guerre d'Algérie, où l'on pratique une politique africaine encore très teintée de colonialisme, où le gouvernement n'est pas près de plaider pour l'annulation de la dette des pays du Tiers-Monde (alors que la France, ancien empire colonial, a grassement pillé les ressources de nombre de ces pays), dans ce pays-là, ça me gêne de voir ainsi Bordeaux glorifié, et que personne n'y retrouve à redire. Alors moi je le dis. Mais ça ne m'empêche pas d'admirer cette ville que j'aime.
En attendant, ce sont les agents immobiliers qui se frottent les mains: dans toutes les villes classées, on a constaté une hausse des achats de logement, et donc, forcément, une augmentation des prix. Comme si les logements à Bordeaux n'étaient pas déjà assez chers...